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Linéarité et ouverture d'un scénario

pour une utilisation réfléchie de la non linéarité

avertissement: cet article a été écrit en Août 2001 pour le groupe de discussion fr.rec.jeux.jdr. Il est avant tout l'introduction à un débat.

À la fin d'une partie de tournoi:
<< - Mon scénario est tellement puissant qu'il pouvait se passer n'importe quoi !
- Effectivement, il s'est passé n'importe quoi... >>

Le jeu de rôle n'a d'intérêt que parce qu'il construit quelque chose. La situation d'arrivée n'est pas la même que la situation de départ, sinon ce n'est pas la peine de jouer la partie. Le chemin qui est emprunté pour aller de la situation de départ à la situation d'arrivée est appelée l'histoire.

Le jeu de rôle n'a d'intérêt que si les joueurs ont prise sur l'histoire. Cela est rendu possible par le fait qu'ils interprètent les personnages qui vont plus ou moins construire l'histoire au fur et à mesure.

Trois axes d'évolution

L'histoire peut mettre en scène trois grands axes d'évolution en relation avec les personnages [les évolutions sans relation avec les personnages sont, par définition, inutiles à la partie] :
- L'évolution physique. Il s'agit de l'évolution de la situation matérielle, de tout ce qui est visible/tangible. Entrer dans la maison, démarrer sa voiture, tuer son ennemi, sont des actions qui participent à l'évolution physique de l'histoire.
- L'évolution intellectuelle. Il s'agit de l'évolution des connaissances de personnages. Cette évolution peut avoir lieu par la réflexion des joueurs, par la découverte d'informations, etc... Trouver le coupable d'un meurtre est l'évolution intellectuelle la plus significative d'un scénario d'enquête (plus précisément, c'est souvent l'aboutissement de l'évolution en question).
- L'évolution psychologique (en particulier l'évolution émotionnelle, l'évolution morale, etc...). Il s'agit de l'évolution des sentiments des personnages, voire l'évolution de leurs personnalités.

Ce découpage n'est bien sûr pas rigide car de manière évidente, les trois évolutions sont fortement liées entre elles. Néanmoins c'est un découpage assez naturel, et qui va nous servir pour la suite.

Un scénario de jeu de rôle ne décrit pas une histoire à l'avance, il laisse une latitude plus ou moins grande aux joueurs, au meneur (et au hasard si on utilise des dés...) pour construire l'histoire. Les différentes évolutions sont donc plus ou moins prévues à l'avance (dans le sens où elle peuvent être parfaitement prévues, ou pas prévues du tout). On peut classer dans trois catégories la manière dont un scénario considère l'évolution sur un certain axe (physique, intellectuel ou psychologique) [on appellera scénario ce qui est effectivement joué par le meneur, pas forcément ce qui écrit]
- Pas de considération particulière. Le scénario ne prend pas en compte l'évolution en question, ou bien il n'y a explicitement aucune évolution.
- Linéarité. Le scénario prévoit de manière globale la manière dont va se dérouler l'évolution. le scénario décrit une trame.
- Non-linéarité (ou ouverture). Le scénario prévoit une évolution, mais lui laisse toute liberté. Le scénario décrit un ensemble d'éléments et non une trame.

Chaque scénario va plus ou moins loin sur chaque axe d'évolution. Un scénario d'enquête privilégiera l'axe intellectuel, tandis qu'un scénario épique n'ira pas très loin sur le même axe, de manière à privilégier l'axe physique et éventuellement l'axe psychologique. Il n'est pas question ici de juger tel ou tel type de scénario, on dira donc que chaque scénario répartit son effort sur les trois axes d'une certaine manière.

Principe fondamental

Une fois ces considérations théoriques mises en place, j'en viens au but premier de cet article qui est de défendre l'idée selon laquelle la non linéarité n'est pas forcément souhaitable en soi. Plus précisément, elle n'est pas souhaitable à tous les niveaux. La non linéarité, si elle est gérée avec talent et attention, peut mener à des évolutions plus riches que la linéarité. La linéarité, de son côté, en prévoyant les différentes étapes de l'évolution à l'avance peut permettre de mettre en place des éléments plus intenses et cohérents, car longuement réfléchis. Un scénario complètement non linéaire, n'est pas plus souhaitable qu'un scénario complètement linéaire (ce serait une histoire écrite à l'avance), il y a donc une certaine dose de non linéarité à mettre dans chaque scénario, un équilibre.

La dose de non linéarité que l'on peut mettre dépend directement des talents d'improvisation du meneur, mais cela est loin de permettre d'être non linéaire selon les trois axes. En fait il faut que chaque meneur connaisse sa capacité à ce niveau parce que s'il la dépasse, le scénario perd en qualité/intensité.

Mon point de vue est qu'un bon scénario doit être d'autant plus ouvert selon un certain axe (physique, intellectuel ou psychologique) que le scénario privilégie cet axe. Ainsi la dose de non linéarité doit être répartie selon les 3 axes, en fonction des intérêts mis en jeu.

Exemple

Imaginons un scénario d'enquête classique à l'appel de Chtulhu. Pour une raison quelconque des horreurs sortent de la cave d'une vieille maison. Un choix logique pour un tel scénario serait de mettre en avant l'axe intellectuel (l'enquête), puis de mettre en second axe psychologique (santé mentale des PJs) et en dernier l'axe physique (la manière physique dont les PJs vont empêcher les horreurs de se répandre). Selon ma règle, un bon scénario équilibré de ce type devrait mettre en jeu une enquête non linéaire, prévoir de manière linéaire l'évolution psychologique des personnages (ces derniers devienne plus ou moins fous, il n'y a pas d'autre choix), et mettre de côté l'évolution physique (elle n'interviendrait qu'à la fin du scénario, quand les PJs doivent trouver une solution définitive pour arrêter l'invasion des horreurs)

Cela influe grandement sur la manière dont le scénario doit être écrit puisque d'après ce que je viens de dire, la plus grande partie du scénario devrait être dédié à décrire comment les PJ peuvent trouver tel ou tel indice. L'évolution psychologique sera décrite au travers de notes de maîtrise qui montreront comment l'ambiance devient de plus en plus lourde et insupportable. Et enfin l'évolution physique sera juste abordée rapidement, à savoir donner quelques idées au meneur de la manière dont les PJ peuvent arrêter les horreurs.

Maintenant, partons de ce scénario, et écrivons un scénario non pas fondé sur l'enquête mais sur la psychologie des personnages. D'après la règle que j'ai énoncé, l'évolution intellectuelle doit baisser en non linéarité (et devenir linéaire?), tandis que l'évolution psychologique doit gagner de la non linéarité. Et voilà ce que cela donne : à présent le scénario doit mettre en jeu d'autres états psychologique que la peur (un PJ peut rencontrer le fantôme de sa fiancée et se retrouver confronté à devoir la quitter une deuxième fois, etc...), et permettre aux PJ de faire des choix psychologiques. On n'oblige plus les PJs à devenir fou, on ouvre d'autres voies. Le scénario aura alors comme principal contenu des instructions sur la manière de gérer les états psychologique des personnages, et d'ouvrir des portes. Le meneur fera intervenir des événements non en fonction d'une timeline rigide, ou pour aider les PJ dans leur enquête, mais en fonction de ce que cela apporte psychologiquement aux personnages. La manière dont les personnages vont trouver des indices pour expliquer ce qu'il se passe peut être cette fois beaucoup plus prévue à l'avance, puisqu'il faut décider du déroulement qui va offrir le plus de possibilités psychologiques aux personnages. De plus si le meneur connaît à l'avance le déroulement probable de l'enquête, il devient plus facile pour lui d'assurer une cohérence dans l'évolution psychologique de chaque personnage, quelques soit la direction qu'elle emprunte.

Reprenons les scénario initial, et mettons en avant l'action, cette fois. Toujours selon ma règle, l'action doit devenir non linéaire, tandis que l'enquête doit devenir plus linéaire, et que l'évolution psychologique des personnages peut devenir carrément inexistante. Voilà ce que ça peut être : on sait que des horreurs viennent de la maison, et on a envoyé un commando armé pour régler le problème (ghostbuster ?). On peut se débarrasser de l'évolution psychologique en ne gérant pas la peur des PJs (ce sont des pro...), ou alors seulement par ces jets de dés qui sont équivalents à des "jets de protection contre la peur". L'enquête, elle, devrait être assez linéaire : le meneur doit avoir une bonne idée de la manière dont les PJs vont découvrir que les horreurs viennent de la cave et qui sont elles. L'important c'est l'action, et cette dernière doit être non linéaire : ce sont aux PJ d'échafauder des plans originaux pour " traiter " le problème.

Bon... où ça va tout ça ?

Tout ce que je viens de mettre en place défend les idées suivantes :
- un scénario d'enquête doit être non linéaire (au niveau intellectuel)
- un scénario reposant sur l'enquête ou la psychologie peut légitimement être linéaire au point de vue de l'action
- un scénario fortement non linéaire à la fois sur le plan de l'action et de l'enquête risque de sombrer dans le "n'importe quoi"

Ainsi, un peu naïvement, j'espère me débarrasser de toutes les croyances comme quoi la non linéarité physique est intrinsèquement un critère de qualité pour un scénario, comme si c'était une forme supérieur de jdr. D'abord parce que la non linéarité physique n'est pas la seule, et on oublie un peu vite qu'un scénario linéaire physiquement peut être non linéaire psychologiquement, et qu'ensuite trop de non-linéarité amène le désordre, le n'importe quoi.

Or une histoire ce n'est pas une simple suite d'événements mis bout à bout (j'y reviendrai une autre fois...).

Tout cela pour défendre les scénarios où le déroulement est totalement prévu à l'avance... L'évolution physique ou intellectuelle peut très bien être remplacée par l'évolution psychologique, du moment que celle ci devient non linéaire, c'est à dire si on laisse de manière réfléchie des portes ouvertes. A contrario, il paraît difficile de mettre de manière intéressante au centre de la partie l'évolution psychologique des personnages si l'évolution physique et intellectuelle sont fortement non linéaires. Et seuls les meilleurs meneurs parviendront à gérer une évolution physique ou une évolution intellectuelle non linéaire, dans un scénario centré sur la psychologie des personnages. [puisque j'ai émis l'idée que la qualité d'un meneur représente la non linéarité "totale" qu'il est capable de gérer]

Article écrit par Eric Lestrade

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