Les Magazines de JdR:
état des lieux en 2000
avertissement:
cet article a été recueilli fin Juillet
2000 sur usenet dans le groupe de discussion fr.rec.jeux.jdr.
Il est publié ici avec l'aimable autorisation de l'auteur. Le texte
a parfois été très légèrement adapté,
et les passages mis en exergue l'ont été par la rédaction
d'Anthologie.
Cassus Belli vs Backstab |
La résurrection de Cassus Belli
était attendue mais le cortège de changements qu'elle amena fut
très controversé pour les raisons que nous connaissons maintenant,
pour en avoir longuement débattu. Le fait est que cette renaissance
a créé un nouveau schisme chez les joueurs. Nous avions l'opposition
storytelling vs. GrosBills, nous avions l' opposition CB vs. BS,
maintenant nous avons l'opposition rôlistes nouvelle vague contre
vieux de la vieille. Et comme d'habitude, il s'agit là d'un faux
débat.
Les faits sont simples : alors que
CB choisit une optique résolument moderne, intellectuelle, ouverte
aux quatre vents de l'imaginaire et de l' Internet, délaissant ou
réduisant l'expression du jeu de rôle à quelques articles entre
deux chaises, BS au sortir de ses déboires avec le lectorat outré
par un ton d'étudiant malveillant gagne un côté plus amateur mais
plus chaleureux, finalement plus proche des lecteurs et de leurs
attentes en jeu de rôle.
La conclusion n'est guère compliquée
d'un premier abord : là où les lecteurs souhaitaient une évolution
des magazines de JdR capable de les en rapprocher (parce que
CB, ex chef de file, étant resté trop longtemps sans concurrence
directe, a vu ses défauts s'accentuer au détriment de ses qualités,
en conséquence de quoi ses lecteurs quittèrent progressivement le
navire), CB offre un total décalage et BS une forme de régression
- pourtant payante dans le contexte actuel.
Les ventes des magazines sont moins
glorieuses qu'il y a quelques (nombreuses) années. De 30.000
exemplaires pour les CB de la belle époque, on est passé à 16.000
pour un BS qui marche très bien. Alors pourquoi ?
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Première réponse: le
bout du tunnel |
Si l'anonymat est parfois source de
problèmes avec des questions du genre : « à quoi tu joues avec tes
potes ? C'est bizarre comme truc. » ou « il est hors de question
que vous obteniez l'autorisation d'ouvrir un club pour une occupation
si étrange, si marginale », il peut également être le ciment d'
une communauté. Les joueurs d'antan piochaient l'information là
où elle était ; c'est-à-dire dans les quelques magazines montés
par de jeunes passionnés mais difficilement trouvables en kiosque,
dans les rares conventions faciles d'accès, dans les quelques boutiques
de JdR souvent difficiles à trouver (particulièrement pour les provinciaux)
et dans les clubs encore peu nombreux ou difficiles d'accès. L'Internet
n'était pas encore à la mode.
L'information permet à l'individu
de se sentir renforcé d'une identité rôliste. C'est d'autant
plus vrai que les joueurs de l'époque étaient majoritairement plus
jeunes qu'aujourd'hui et que l'adolescence est une phase d'affirmation
de la personnalité.
Mais aujourd'hui, le jeu de rôle a
défrayé la chronique à plusieurs reprises, beaucoup de personnes
connaissent le JdR, même si elles se trompent encore souvent et
font l'amalgame avec d'autres jeux exploitant les mêmes univers
(cartes, vidéo, plateaux). Les quelques crises majeures (scandales
médiatiques, Magic.) ont empêché un renouvellement de la population
ludirôliste quand elle en avait besoin. Les acteurs du marché n'
ont pas eu les moyens ni l'intention manifeste de faire entendre
leur voix ou de fédérer le milieu et si le JdR a survécu (ce qui
était évident), ses joueurs ont pourtant vieilli. Première conséquence,
ce désir d'identité tend à disparaître, les vieux de la vieille
n'étant plus directement concernés et sachant désormais très bien
comment faire sans CB.
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Deuxième réponse: le
tour du sujet |
Car avec l'âge des magazines comme
l'ancien CB deviennent beaucoup moins indispensables. D'une part
les vieux (j'entends par là la tranche 25-30 ans seulement) ont
une vie professionnelle et familiale beaucoup plus dense qui transforme
souvent leurs « passions JdR » en simples loisirs, amusants certes,
mais beaucoup trop coûteux en temps. Certains des anciens attraits
du JdR ne peuvent plus convenir à l'adulte dont les fantasmes ont
changés et comme le matériel dispensé par les magazines s'adresse
à des plus jeunes qu' eux, il ne faut plus grand-chose pour leur
tourner le dos.
Parlons de ce matériel justement.
Terminé le temps des découvertes pour la majorité des rôlistes.
Or, le concret proposé par les magazines ne suit pas longtemps et
ce sont très vite les mêmes sujets qui reviennent, le même traitement
trop superficiel ou les mêmes clichés. Les anciens qui n'ont pas
abandonné le JdR s'organisent souvent en petits comités, tentant
de jouer avec assiduité à leurs premiers amours comme L'Appel de
Cthulhu ou AD&D ou encore dans des campagnes fleuves de très longue
durée. A ce niveau, à quoi bon l'achat d'un CB ?
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Troisième réponse : la variété tue
le rock & roll ! |
Pour les jeunes, les nouveaux arrivants
dans la communauté du JdR - c'est une autre histoire ! Alors qu'il
y a 20 ans les seules portes sur l' imaginaire s'avéraient être
la lecture, le cinéma et le jeu de rôle (bon, à peu de choses près),
les jeunes d'aujourd'hui se voient martelés de propositions toutes
plus alléchantes les unes que les autres. Les jeux vidéo et
les cartes à jouer format Magic sont bien entendu en tête de peloton
en cette ère vouée aux loisirs.
En conséquence de quoi, peut-être,
les magazines comme CB ne comptant plus faire leur beurre sur les
rôlistes ou estimant que ceux-ci s'intéressent à beaucoup d'autres
choses, élargissent-ils leurs horizons. Mais parler d'un peu
de tout correspondant trop souvent à parler beaucoup de rien,
le contenu s'en ressent et une fois encore ne satisfait pas les
amateurs de JdR et n' intéresse pas les nouveaux qui peuvent accéder
très facilement à une presse spécialisée bien plus complète et qualifiée
sur les différents sujets qui les intéressent.
Ces nouveaux joueurs ne recherchent
plus la communauté JdR mais le loisir pour ce qu'il apporte de sensations
et de passions. Opposé (par le temps qu'on y consacre) aux autres
propositions de l'industrie des passions éphémères et aux effets
de mode et de consommation qu'elle peut engendrer (le phénomène
des cartes à collectionner par exemple : effet de mode, relayé par
la naissance d'un besoin chez le consommateur), le JdR ne fait clairement
pas le poids.
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Quatrième réponse : le paradoxe de
la communication |
Internet est le dernier des fléaux
en date. Bien sûr, cette appréciation dépend du point de vue que
l'on partage. L'évolution des jeux informatiques comble rapidement
ce que certains appellent les « lacunes du JdR » - à savoir le son
et l'image en lieu et place de l'imagination. Plus rapides, plus
prenants, plus accessibles et jouables à n'importe quelle heure
tout en reprenant bon nombre de concept du JdR traditionnel, les
jeux vidéo se ménagent une place de choix, débauchant quantité impressionnante
de rôlistes.
Mais pour les magazines de JdR, le
problème est ailleurs. Grâce à Internet, le rôliste un peu privilégié
est maintenant maître de ses choix. Il peut, à moindres frais,
aller chercher l'information sur les JdR directement à sa source,
profiter des discussions entre joueurs pour parfaire son identité
(que ce soit au travers de forums généralistes ou de listes de diffusion
spécialisées) et découvrir les innombrables idées mises en ligne
par les aficionados du jeu de rôle francophone et anglophone. Cette
profusion l'emporte très largement sur la baisse de qualité enregistrée
par les magazines qui essayent de suivre le mouvement en se rabattant
eux aussi sur la source Internet, et donc, en ne proposant plus
que du réchauffé. Une fois de plus, donc, les joueurs n'y trouvent
guère d' intérêt.
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Conclusion |
Je disais plus haut que le petit schisme
né du nouveau CB est un faux-débat. Parce que les gens ne parlent
plus la même langue et oublient que ceux qui les écoutent (lisent)
n'ont pas forcément les mêmes codes qu'eux ou qu'ils ne relativisent
pas systématiquement leurs propos, les discussions ont souvent tendance
à s'envenimer. Les gens polis disent poétiquement : « se passionner
». Mais qu'est-ce qui ressort le plus de cette soi-disant passion
si ce ne sont des difficultés de communication ? Surtout, que derrière
les mots, les belligérants de ces joutes numériques sont parfois
d'un avis très proche, à peine nuancé par quelques points qu'ils
ne parviennent pas à exprimer à leur juste valeur.
Cette dernière digression a pour but
de montrer que cette opposition rôlistes "nouvelle vague vs.
vieux de la vieille" peut très facilement dégénérer en sectarisme
stérile qui pourrait nuire aux magazines présents ou à venir. Pourtant,
en écrivant ces lignes, j'ai bien l'impression qu'il y a de la
matière entre toutes les passerelles qui s'offrent à nous, mais
qu'il y manque la manière.
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