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Les règles du jeu de rôle sans règle
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Règles de
simulation et règles dramatiques
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Le terme "jeu de
rôle sans règle", même si les personnes qui l'ont forgé n'en
étaient pas forcément conscientes à l'origine, signifie en fait
"jeu de rôle sans règle de simulation". Car dans le
monde du jeu de rôle, lorsqu'on parle de règle, on veut presque
toujours dire "règle de simulation", c'est à dire que ce
sont des règles qui tentent de simuler une réalité, même si le contexte
est héroïque ou délirant.
Néanmoins, il existe un autre type de règles, il s'agit des règles
qui régissent l'histoire, et que l'on pourrait appeler les règles
dramatiques. Ce sont ce type de règles que l'on retrouve
dans la littérature ou dans le cinéma, elles sont le plus souvent
implicites (chaque auteur pouvant avoir ses propres règles), mais
il y a des exemples de règles dramatiques explicites : les unités
de temps, lieu et action en théâtre, la "happy end" pour
une partie du cinéma hollywoodien, etc... La plupart des jeux de
rôles ne laissent qu'une petite partie à ces règles (en comparaison
avec la place prise par les règles de simulation), et on ne considèrent
pas habituellement qu'elles fassent partie du système de jeu, ce
sont juste des conseils de jeu. Un des seuls jeux de rôle à avoir
bâti son système de jeu uniquement sur des règles dramatiques est
Theatrix. En effet ce jeu de rôle ne comporte aucune règle de simulation
dans sa version de base. Ce jeu (avec d'autres) a fait office de
précurseur, et les jeux de rôle modernes accordent une place de
plus en plus grande aux règles dramatiques, en les intégrant aux
règles de simulation (citons Hero Wars, Dying Earth, etc...).
Le jeu de rôle sans règle propose, à l'image de Theatrix (il faudrait
dire l'inverse puisque le jdr sans règle est beaucoup plus ancien
que Theatrix...), de ne pas user de règles de simulation. Néanmoins
plutôt que de remplacer un système de simulation par un ensemble
de règles dramatiques, comme le fait Theatrix, le jdr sans règle
considère que les règles dramatiques doivent rester implicites,
et qu'il ne doit donc pas y avoir de système explicite pour la résolution
des actions. D'où le nom "jeu de rôle sans règle"...
Dans la suite de cet article, il n'est pas question d'exposer les
règles dramatiques du jdr sans règle, puisque celles-ci dépendent
de chaque meneur, de chaque groupe de jeu (et que par définition,
elles doivent rester implicites...). Il s'agit d'exposer leur cadre
d'utilisation, de montrer où elles peuvent se trouver, et comment
les appliquer.
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Les personnages |
Comme dans un jeu de
rôle classique, le jeu de rôle sans règle se pratique avec un meneur
et plusieurs joueurs. Chaque joueur joue un personnage dans une
histoire mise en place par le meneur d'après un scénario (que celui
ci soit improvisé ou non). On appellera le "monde" de la partie
à la fois le contexte dans lequel se place l'histoire (contemporain,
futur, etc...), et le genre, s'il existe, qui y est appliqué (espionnage,
polar, western, etc...).
Les personnages joués
peuvent être définis de deux manières différentes : soit le scénario
prévoit une description du personnage, et le joueur n'a qu'à le
lire et à se l'approprier, soit le joueur imagine son propre personnage,
presque toujours en tenant compte de certains éléments donnés par
le meneur, de manière à ce que le personnage puisse faire partie
de l'histoire (par exemple : "ton personnage vient du monde du showbizz,
et habite Hollywood"). Il existe en fait tous les cas intermédiaires,
par exemple le meneur peut donner une description physique et historique
précise du personnage, en laissant le joueur créer la dimension
psychologique. Il est possible pour aider à décrire un personnage
d'utiliser des caractéristiques et/ou des compétences chiffrées,
mais à l'usage on constate qu'elles sont le plus souvent inutiles.
Dans tous les cas le joueur et le meneur doivent avoir une vision
la plus commune possible du personnage du joueur en début de partie,
même si elle est le plus souvent incomplète.
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Le meneur décide... |
Après la mise au point
des personnages, la partie peut commencer. Le meneur met en place
les scènes qui forment l'histoire selon le scénario, les actions
des joueurs, et sa propre manière de maîtriser. Tout se passe comme
dans une partie de jeu de rôle classique, excepté pour la résolution
des actions, puisque le meneur ne possède aucun système de simulation
permettant de les résoudre.
Voici une manière
(non simulationiste, bien sûr...) de résoudre ces actions
: Le meneur décide tout d'abord quelles issues sont cohérentes
avec le monde. À ce niveau là, le meneur doit prendre en compte
le niveau de réalisme et d'héroïsme du monde, ainsi que les éventuelles
lois du genre [l'héroïsme ou le non réalisme d'un monde peuvent
être considérés comme des lois du genre particulières] de la manière
suivante : dans un monde réaliste, la seule issue possible d'une
action triviale est la réussite. À l'inverse la seule issue possible
d'une action impossible est l'échec. Entre ces deux extrêmes, tout
reste possible. Un monde peu réaliste permet un panel de résultats
encore plus varié que dans un monde réaliste en permettant notamment
des issues inattendues. Un monde héroïque, quant à lui, agrandit
le panel de possibilités uniquement vers la réussite d'actions exceptionnelles.
Pour finir, les lois du genre agrandissent ou rétrécissent selon
les cas le panel de résultats possibles : dans un western il est
possible de désarmer son adversaire en lui tirant dessus,
dans une tragédie il est impossible que le personnage
échappe à son destin, etc... Pour déterminer de manière
définitive le panel de résultats possibles, il faut également
vérifier que les résultats déterminées précédemment sont
cohérents avec ce qu'il s'est passé depuis le début de la partie.
Par exemple si un personnage est moyennement baraqué, il a pu défoncer
une voire deux portes dans le scénario, mais arriver à défoncer
davantage de portes devient rapidement incohérent dans un monde
réaliste. À l'inverse un archer talentueux dans un monde héroïque
ne devrait pas rater sa cible de manière répétée, à moins de vouloir
remettre en cause le personnage (ie : le personnage est moins capable
qu'il ne le pense). Il ne s'agit bien sûr pas de tenter d'appliquer
des pourcentages de réussite sur les actions des personnages, mais
d'éliminer les cas trop extrêmes pour le monde.
Une fois que le
meneur a déterminé quelles sont les résultats possibles de l'action
du personnage, il n'a plus qu'à choisir l'issue, parmi ces résultats,
qui lui semble la plus intéressante pour l'histoire au sens
large (c'est à dire en incluant les personnages). Bien sûr cette
décision est extrêmement subjective, puisque chaque meneur a une
vision différente de ce qu'est une histoire intéressante. C'est
à ce niveau que peuvent s'appliquer les règles dramatiques...
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Le joueur décide... |
Ce que nous venons
de voir représente la manière classique dont est présentée n'importe
quelle manière de joueur au jeu de rôle : le joueur fait faire des
actions à son personnage, et le meneur décide de l'issue de cette
action. Il arrive parfois que le joueur ne soit pas d'accord avec
la décision du meneur, et ce dernier, s'il se rend compte que le
joueur a raison de douter de sa décision (oubli d'un élément, par
exemple) peut revenir sur celle-ci. Nous sommes dans ce que l'on
pourrait appeler le domaine privilégié du meneur : le meneur décide,
et le joueur a le droit de remettre en cause cette décision de manière
exceptionnelle.
Néanmoins, parallèlement
à cela, il existe aussi un domaine privilégié du joueur, un domaine
où c'est le joueur qui décide, et où le meneur a le droit de remettre
en cause cette décision uniquement de manière exceptionnelle.
L'étendue de ce domaine est souvent implicite, mais varie parfois
fortement d'une groupe de jeu à l'autre. Le domaine privilégié du
joueur est classiquement la psychologie du personnage joueur et
les gestes anodins de tous les jours de ce personnage. Ainsi c'est
le joueur qui décide si son personnage est effrayé ou non (selon
la situation qu'a décrite le meneur, bien sûr...), et c'est le joueur
qui décide comment son personnage s'est habillé le matin.
Il est possible, néanmoins,
de jouer en élargissant ce domaine dans d'autres directions. Par
exemple, il est possible de décider que toutes les actions implicites
du personnage font partie du domaine privilégié du joueur, et pas
seulement les actions anodines (comme la manière de s'habiller).
Ainsi dans un monde contemporain, si le personnage d'un joueur voit
une boutique en train de se faire braquer, le joueur devrait décider
si son personnage a emporté son arme avec lui ce matin.
Il est également possible
de décider que le domaine privilégié du joueur s'étend au décor
que voit son personnage. C'est l'exemple classique du personnage
qui entre dans un bar, et dont le joueur déclare : "je m'installe
à la table vide, dans le coin le plus sombre de la salle", sans
que le meneur n'ait précisé si cette table existait réellement dans
le décor.
Un dernier domaine
possible, qui n'est pas le moins important, est la définition du
personnage du joueur. Comme mentionné au début, cette définition
est plus ou moins précise en début de partie. À partir de là, le
meneur et le joueur ont forcément une vision au moins légèrement
différente du personnage. Si l'histoire demande à ce qu'un point
soit précisé, il faut savoir si c'est au meneur ou au joueur de
le faire, c'est à dire savoir si la définition du personnage appartient
au domaine privilégié du meneur ou à celui du joueur. Dans le cas
où le personnage a été créé par le joueur avec des indications du
meneur, on considère souvent implicitement que la définition du
personnage fait parti du domaine privilégié du joueur, et que ce
dernier peut compléter à tout moment le personnage qu'il a créé.
En revanche, si le personnage est imposé par le meneur ou le scénario
en début de partie, il n'est pas évident de savoir dans quel domaine
se trouve la définition du personnage. Si le meneur préfère que
le personnage soit dans le domaine privilégié du joueur, c'est à
lui de signaler en début de partie que le joueur peut rajouter les
éléments qu'il désire à son personnage (par exemple: "je n'ai rien
écrit sur tes parents, c'est à toi de voir"), si ce n'est pas le
cas, il se peut que le joueur considère que son personnage fait
partie du domaine du meneur et lui demande des précisions lorsque
ça lui est utile ("est que les parents de mon personnage sont encore
en vie ?").
D'autres extensions
du domaine du joueur sont possibles (par exemple il peut aller jusqu'au
comportement des PNJ mineurs, ou bien à des scènes
que le personnage du joueur ne peut pas voir), mais il faut noter
que plus ce domaine est grand, et plus on s'éloigne du jeu
de rôle, tout en se rapprochant d'une sorte de construction
coopérative d'histoires. À l'inverse, un domaine très
réduit pour le joueur fait ressembler la partie à
un livre dont vous êtes le héros... À chacun
de trouver son équilibre.
Toutes les décisions
du joueur sont prises de la même manière que les décisions du meneur.
Cela implique:
1) que le joueur doit
choisir dans un ensemble de possibilités cohérentes avec le monde
et l'histoire,
2) que le joueur fait un choix précis parce qu'il pense que
cela va mener vers une histoire plus intéressante : si le personnage
assiste à un braquage en pleine ville, le joueur peut considérer
comme plus intéressant pour l'histoire qu'il puisse réagir avec
une arme, et par conséquent il décide que son personnage a pris
son arme ce matin avant de partir,
3) et enfin cela implique que le meneur peut contester cette
décision si le joueur n'a pas pris en compte un élément important
(ce qui peut arriver puisque le joueur ignore le scénario)
L'étendue du domaine
privilégié du joueur est en général implicite dans les groupes qui
ont tendance à jouer tout le temps ensemble, mais comme il ne devrait
pas varier en cours de partie, il faut être certain que tous ont
conscience de son étendue dès le début de partie. Le premier contact
entre un meneur et un joueur qui ne se connaissent pas et qui vont
jouer sans règle devrait être de définir ces domaines privilégiés,
surtout lorsque le domaine de joueur est censé s'écarter du domaine
usuel (psychologie du personnage, et actes anodins de la vie de
tous les jours).
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...et donc ? |
Tout ce qui précède
peut facilement être appliqué au jdr avec règles, car, comme mentionné
en introduction, le jdr avec règles n'ignore pas l'utilisation de
règles dramatiques, ces dernières sont simplement mises en concurrence
avec les règles de simulation, et c'est à chaque meneur d'arbitrer
à tout instant entre les deux.
Certains seront peut-être
déçu que je n'aborde pas la question fondamentale : "comment prendre
une décision ?", je n'ai fait qu'en décrire le cadre, et aborder
rapidement les enjeux. Mais plutôt que de chercher des recettes,
un meneur devrait avant tout faire comme il le sent, et c'est seulement
après qu'il pourra se poser la question, s'il le désire, "mais comment
je fais pour prendre mes décisions ?".
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